Véronique Bergen

tu me silhouette / tu m’infiniment / tu m’indivisible / tu m’ironie / je te fragile / je t’ardente / je te phonétiquement / tu me hiéroglyphe / tu m’espace / tu me cascade / je te cascade à mon tour (1)
Véronique Bergen, docteur en philosophie, auteur de très nombreux ouvrages et articles sur Gilles Deleuze, Jean Genet, Sartre et Alain Badiou s’époumone au centre d’une scène ronde sans décor d’un théâtre. Autour d’elle les personnages sont debout pieds joints pieds nus devant une chaise en métal. Ils semblent venir de nulle part, ils viennent de nulle part, ils sont d’une extrême laideur et d’une parfaite banalité. Dans ce rêve, c’est exactement l’endroit, ce théâtre désaffecté à l’odeur de naphtaline d’une rue sans vie, en plein cœur de Paris, où Véronique Bergen me pria de la rejoindre une nuit glaciale de janvier 1896. Je venais à l’instant d’apprendre la mort de Paul Verlaine. Je réfléchissais déjà à comment arriverai-je le lendemain à l’église Saint-Étienne-du-Mont, avec qui et dans quel état. Je chante à mi-voix. Je repense à Lucien, mort si jeune. J’arrive au théâtre au mauvais moment, le moment où Créon, exaspéré par le comportement fallacieux d’Antigone et de ses copines hystériques, traite tout le monde de vieilles folles et fait placer tout ce beau monde déchu par la déraison en réclusion. Je m’assis benoîtement au premier rang dans la salle juste au moment de la réplique ce n’est pas une femme qui fera la loi. Assis derrière moi : trente-trois spectateurs, que des hommes chapeautés. Elle me reconnaît dans la salle, fait taire tout le monde et s’approche de moi. Je me lève : désolé, je ne voulais pas perturber votre représentation, Madame, … tous mes respects… je suis Patrick Lowie. Elle acquiesce et me dit : Je sais, voilà, je vous ai fait venir jusqu’ici car ces personnages identiques que vous voyez sont d’une banalité sans nom. Je ne sais qu’en faire. Je l’avais remarqué. Avez-vous seulement observé Véronique, je peux vous tutoyer n’est-ce pas … avez-vous vu que vos personnages ne sont que des poupées gonflables de fabrication chinoise, d’un rose porcelet laid et de mauvaise qualité ? Elles ne sont pas en silicone, regardez bien, vous avez acheté tout cela sur Alibaba.com en grosses quantités ou au marché chinois de Casablanca ? Ces grandes bouches ouvertes sont ridicules. Elle me fixe, ahurie, puis souriante : vous faites l’idiot Lowie … autant vous le dire, ce sont des êtres en chair et en os. Ces personnes ont une vie, une âme. Mais pas d’enfants. Votre fétichisme primaire de gadget m’exaspère. Je n’aurais jamais dû vous faire venir.


Un jeune homme saoul et drogué de trop d’amertumes se dirige vers nous et tire de son revolver mal calibré me touchant au bras droit. Le jeune homme avait une gueule d’ange mais l’âme truffée de frustrations. Voyant mon corps en sang, Véronique Bergen prend les choses en main : retournons au théâtre ! En sortant du salon indien du Grand Café, du boulevard des Capucines à Paris, la Porsche 356C de Janis Joplin nous attendait pour fuir vers d’autres beautés. Vers un monde plus Kozmic Blues que jamais. La philosophe belge se retourne, se lève dans la voiture et crie : mon dauphin ! Mon dauphin ! / mais toi / tu me fluide / tu m’étoile filante / tu me volcanique / nous nous pulvérisable / nous nous scandaleusement / jour et nuit / nous nous aujourd’hui même / tu me tangente / je te concentrique / (2)
(1) & (2) « Prendre corps » – Ghérasim Luca
Qui est Véronique Bergen ?
Voir en ligne : Le dernier livre de Véronique Bergen
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