Entre les deux chemins, une
paire de chaussures et plus loin une femme avec un appareil
photo. Une photographe à côté de ses pompes ? Pas sûr, je la
trouvais surtout dans l’instant, dans une forme d’équilibre
méditatif, entourée de pixels admiratifs. Entre des
chaussures délacées, des chemins effacés, un désert
approximatif et des plantations de quinquina qui donnait au
paysage une amertume gris bleuté, je me rapproche du décor,
trébuche et dis :
shit, I’m dreaming again. La
photographe se retourne, me prend pour cible avec comme
objectif de me soustraire l’enveloppe charnelle, cette
écorce si facile à enlever, prête à faire boire mon vin
jusqu’à la dernière goutte. Distanciation sociale oblige
dans ce désert infini parsemé de troncs effeuillés, je garde
en moi, comme une insémination artificielle, les graines
d’un optimisme maladroit en perpétuelle attente de quelque
chose de plus intense encore, plus profond mais à distance.
Elle se présente :
Sylvie Leeloo. Déclics
d’obturateurs en forme de poignées de mains mécaniques. Le
vent se lève, je remarque que le vent se lève toujours à des
moments précis, comme ici, lors de cette rencontre onirique.
Mon nom est Patrick Lowie, j’aimerais me réveiller,
lui dis-je,
nous sommes tous des dormeurs qui vont se
réveiller, il faudrait juste qu’on se réveille au même
moment. J’aime beaucoup vos photos en noir et en
blanc,
Pilastre par exemple, est une photo
remarquable, j’aurais pu rêver ce moment sublime figé. Le
vent étale les notes d’une composition musicale, je pensais
m’être éloigné des côtes, mais il a aussi ramené l’iode
d’une proche vague démontée. Sylvie Leeloo me sourit, se
rechausse, me fait un signe de la main. Elle s’en va seule,
elle se croit seule, elle se dirige vers la musique, elle
s’approche d’une falaise, elle se croit toujours seule, elle
croit qu’il fait beau aussi, puis sans raison apparente,
sans mouvement brusque, tout d’un coup sans savoir pourquoi,
elle saute dans le vide. Elle saute dans le vide mais elle
ne s’écrase pas, elle rebondit à la surface de ce qui
ressemble à un océan, elle rebondit plusieurs fois, toujours
le sourire aux lèvres. Faisons ce que l’on peut. Au bout de
très peu de temps au dernier rebond plus haut que les
autres, elle se retrouve en l'air, elle reste au niveau du
ciel. Je l’observe et je sais qu’elle n’a pas peur, qu’elle
ne panique pas. Il n’y a pas de raison. Et là je ne sais pas
si elle plane ou si elle vole, comme si elle devenait
observatrice du monde du dessous, avec cette impression de
légèreté, d’équilibre. Elle lévite.
Qui est Sylvie Leeloo ?
Lyonnaise d'origine, vivant depuis plusieurs
années à Marseille, j'ai commencé la photographie depuis
2015 et très vite, c'est devenu une passion. Depuis j’ai
participé à plusieurs expositions qui m’ont permis de
présenter et mettre en avant mon travail photographique.
Faire de la photographie, c’est être dans l’instant,
être dans un état méditatif. J’ai une préférence pour le
noir et blanc intemporel, qui me permet d’exprimer des
émotions particulières, et d'extraire des atmosphères
très différentes. Mon appareil me permet d’être un
témoin au regard bienveillant. Ma préoccupation est de
transmettre une ambiance, une histoire, avec de
l’esthétisme et mes états d’âme. Je souhaite au travers
de mon travail être un révélateur, saisir un instant,
une tranche de vie, l’impermanence des choses, je fige
cet instant, me disant que si j’en garde une trace c’est
forcément là ... ou pas, car l’instant d’après ce qui a
été n’est déjà plus, ou différent. J'aime également les
reflets, la réflexion d'un sujet sur un autre, qui se
superposent, se mêlent ou s'entremêlent. Mélange de réel
et d'irréel. Ne plus avoir de repères. Jeux de
cache-cache avec la lumière, les contrastes, les ombres,
pour mettre en avant un sujet plus qu'un autre. Voir
au-delà du premier regard, voir ce qui se cache
derrière. Laisser le mystère faire son œuvre. Jouer avec
les contre-jours pour dessiner une silhouette, un
contour. Saisir des comportements, des mouvements, des
attitudes afin qu’ils deviennent des formes, des
empreintes.